Episode Description

Est-ce que cela vous ait déjà arrivé de rencontrer quelqu’un et d’avoir l’impression de connaître déjà cette personne ?


C’est exactement ce que j’ai ressenti quand j’ai rencontré Anne.  Et j’ai eu l’intuition que j’allais très bien m’entendre avec elle, qu’on allait partager de très belles choses. Après une conversation j’ai notamment compris que nous avions vécu des expériences similaires. J’ai senti qu’elle avait un message fort à faire passer, mais avec une douceur infinie. Anne fait partie de ces personnes jeunes mais très matures, moi je pense que ce sont des âmes anciennes qui ont beaucoup à nous apprendre sur la vie. Alors je l'ai invité dans cheminements. La façon dont je procède est toujours la même avec mes invitées : d’abord j’échange une première fois avec elles, puis je procède à une pré-interview par téléphone, étape durant laquelle je prends des notes  pour pouvoir rédiger leur histoire. Et puis je leur envoie le texte que j’ai écrit, qu’elles peuvent évidemment modifier autant qu'elles le souhaite. Et puis le jour de l’enregistrement, elles lisent ce texte. Et moi je les écoute. C’est ma façon à moi de les aider. Mais il est maintenant temps pour vous de découvrir l'histoire d’Anne. Je me dois de vous préciser que son témoignage aborde une expérience de violence sexuelle.


Je suis Marguerite de Rodellec, bienvenue dans Cheminements.


Crédits


Ecriture : Marguerite de Rodellec

Production : MedShake Studio, studio de podcast spécialisé dans la santé, créé par Anca Petre et Margot de Rodellec.




Montage : Studio Module




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Episode Transcript

Bonjour je m'appelle Anne j'ai 27 ans et aujourd'hui je voudrais vous parler de ce lien vital et extrêmement fort qu’il existe entre la santé mentale et le bien être physique. 

A 12 ou 13 ans, j’avais souvent très, très mal au ventre. Pour préciser un peu, j’avais des crises intestinales de diarrhée aiguë aussi douloureuses que régulières. Elles arrivaient après les repas, en fin d'après-midi ou le soir, et après les weekends aussi. Je souffrais le martyr. Pendant des heures. 

J’essayais de développer des techniques pour ne pas être malade quand j’étais hors de chez moi. J’avais très peur de tout, mais surtout de tout ce que mon corps évacuait, comme le vomi par exemple. Ça s’appelle l’émétophobie.

Je m’en souviens comme si c’était hier : j’accompagnais mes copines à la cantine du collège, je les regardais manger, mais sans rien pouvoir avaler. Et quand je rentrais, je mourrais de faim, alors je me faisais des goûters gargantuesques : des pains au chocolat avec du nutella en plus dessus, des boissons sucrées. Si j'avais un soucis, j'étais chez moi. Donc j’étais bien.

Le reste du temps, je faisais des crises d'angoisse. Et c’est comme ça que j’ai rayé énormément d’aliments de mon quotidien. Fini le riz, le pain, les pâtes. Je privilégiais les aliments à base d'eau… Les légumes, les fruits : plus légers, ils seraient plus faciles à évacuer. Mais malgré ça, j'avais toujours des crises intestinales très fortes qui arrivaient quand je mangeais trop de gras ou de sucre. J’ai dû attendre mes 26 ans  avant de pouvoir remanger des spaghetti à la bolognaise. Et mes 24  ans pour aller au restaurant sans (trop)  m’inquiéter. 

Je restais chez moi tout le temps car je vivais des moments beaucoup trop intimes et intenses après avoir mangé puis digéré trop vite, je me sentais sale, je voulais pouvoir prendre une douche, me mettre dans mon lit, être tranquille, que l'on ne me parle plus. J'avais beaucoup de tocs aussi. Par exemple, il fallait que je range les coussins sur le lit d’une certaine façon pour m’assurer que je ne tomberais pas malade. 

C’est en entrant dans l’âge adulte que j’ai commencé à comprendre que ces crises étaient strictement liées à mon état mental. J'ai commencé à me demander pourquoi j’étais malade aussi souvent. Et j’ai compris. Par exemple, il y avait ce couple d'amis que j'adorais. C’était l'image du couple parfait, beau et amoureux. Un jour ma copine m’appelle pour me dire qu’elle avait rompu. J'étais à table avec ma mère. Moins de 10 secondes plus tard, j'étais sur les toilettes - l'annonce m'avait littéralement rendue malade. 

A 19 ans, j’ai décidé d’agir. Je suis allée chez le gastro-entérologue. Il m'a fait m'allonger sur la table, il a appuyé fort - beaucoup trop fort - sur mon ventre. Puis il m'a dit que j'allais devoir faire une coloscopie. La coloscopie, c’est un examen médical que l’on réalise en insérant une sonde dans le côlon. J’avais pris rendez-vous, mais finalement je ne suis jamais allée. C’était ma limite. J’ai préféré voir une diététicienne pour essayer de comprendre les aliments qui pourraient me faire du bien. C’était une magnifique rencontre. Elle m'avait conseillé plein d'aliments doux, comme la betterave, et d’autres aliments du régime Fodmap, cela m'avait beaucoup aidé.

J’allais mieux, oui, mais en dehors de chez moi je n'étais toujours pas en sécurité. En amphi, au resto, j'avais besoin de savoir qu'il y avait quelqu'un, pas loin, chez qui je pouvais aller. Je me demandais toujours : où sont les toilettes ? Et la sortie ? Si j'ai besoin de m'échapper, comment je fais ? 


J'étais malade tous les après-midi. Et à force de réfléchir, et de tester différents aliments, et surtout après avoir passé une nuit entière devant les toilettes à genoux sur le carrelage froid, je me suis rendue compte que c'était les oignons et l'ail qui me faisaient du mal. J'ai décidé d'arrêter complètement. 

Ce moment de ma vie coïncide nettement avec la période où ça n'allait pas avec mon ex. Il était très violent avec moi. Ecoutez-moi bien, car ce que je vais dire va peut être vous paraître étrange, mais c’est pourtant vrai : je me dis qu’à un moment, j'ai dû associer l'oignon et l'ail à cette peur que j'avais de lui, ou pour lui. J'ai senti qu'il y avait un tournant, que le fait que je sois malade et que je rejette ces aliments, c'était un moyen de rendre cette histoire tangible. Pierre était mon premier coup de foudre, on s'est rapprochés très vite. Les six premiers mois de notre relation étaient très beaux, il avait été patient avant que l'on passe à l'acte, respectueux par rapport au fait que j’avais besoin de temps, on riait beaucoup. 

Un jour, il a été pris dans une école et a dû quitter ma ville pour faire ses études. C’est là qu’il m'a quitté une première fois. Il ne voulait pas de relation à distance. Et puis on s'est remis ensemble. Cela faisait 9 mois quand il a progressivement sombré dans l'alcoolisme. Il a commencé à boire beaucoup et régulièrement. Il ne se souvenait plus de nos conversations. Il arrivait parfois qu'il se passe 10 jours sans que j'ai de ses nouvelles. Il n’avait plus aucun mot doux à mon écart. Dans son téléphone, il m’avait enregistré sous le nom de : connasse.

Il est devenu de plus en plus violent psychologiquement. Il se retenait de rire quand je faisais des blagues. Pour lui, c'était devenu un signe de faiblesse, alors que notre relation était fondée sur l'humour. Il m'a quitté quelques mois plus tard car il me trouvait trop féminine, il trouvait que je maquillais trop, et puis il faisait désormais partie de ces hommes qui n'aiment pas les cheveux bouclés. Il m'a totalement détruite psychologiquement.

Après m’avoir quitté, on a recouché ensemble à plusieurs reprises. Dans l'intimité ses phrases me hantaient, c’était des : “vas y, lâche-toi”, ou “mais t'es chiante”, et puis c'était tout pour lui, rien pour moi. Cela a duré des mois. 

Je suis allée lui rendre visite là où il habitait,  en cachette, je n’ai prévenu personne de mon entourage. Pendant ce séjour, je restais seule toute la journée, je ne connaissais pas la ville. Lui, il allait en cours. Il me négligeait. Le seul truc qu'il avait fait c'était changer les draps qui étaient là depuis un an

Et puis il y a eu le soir, celui dont je me souviendrai toujours. Il est rentré saoul, on eu une relation sexuelle, je n'avais pas le droit de l'embrasser, je devais faire ce qu’il me disait, pendant qu’il déblatérait des mots détestables, ponctués d’un hoquet incessant. . Et puis, il s'est endormi. Et moi je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Le lendemain, les mots, il les a prononcé lui-même devant ses amis. Il a dit que j'étais facile à violer. Je suis rentrée chez mon père le lendemain.

Je décide de sortir complètement de cette vie que je ne peux plus supporter. Je rencontre un garçon  quelques mois plus tard qui me plait beaucoup, et pour la première fois de ma vie je rentre chez lui le soir même. Mais c'est impossible pour moi d'avoir une relation sexuelle avec lui. Je ne me sens pas bien, j’ai des douleurs vives au moment de la pénétration. Je vais voir une gynécologue pour lui en parler. Elle me dit que le problème est physique et mécanique. Elle me donne un diagnostic : il s’agit d’une vestibulite. Et elle me conseille d’aller voir une ostéo uro-gynécologique qui me fera des massages localisés pour régler ce problème, et ouvrir le fameux vestibule. J’ai vite compris que l’entrée de ma pièce sacrée ne passerait pas par le massage d’un médecin, mais plutôt en vidant mon sac auprès de Pierre. Un soir, je décide de l’appeler pour le confronter. Il s’excuse. Cela me fait du bien.

Mes problèmes digestifs sont de plus en plus rares. Mais en revanche, j’ai des terreurs nocturnes et des épisodes de stress post-traumatiques très violents. Je n'ai plus aucun contact avec Pierre. 

Je commence ma vie professionnelle. Un jour, une de mes collègues me sort : ah mais Anne, si les mecs ne te respectent pas dans la rue, tu crois vraiment qu'ils vont te respecter au lit ? " Ça m'a fait tilt car je n'avais pas envie de penser que les mecs étaient "tous comme ça". Je voulais comprendre pourquoi ce genre de violences sexuelles arrive. J'ai décidé d'aller voir une thérapeute recommandée par une amie. C'est comme ça qu'ont commencé les trois plus belles années de ma vie. les plus difficiles, aussi. 

J'ai voulu passer au-delà de la violence physique et psychologique. Mais ça, ce n'était que la partie immergée de l'iceberg. C'est à ce moment que j'ai ouvert les portes de mon esprit que j’ai compris quels épisodes de ma vie avaient déclenché mes problèmes de ventre. Après des heures de thérapie, une heure toutes les deux semaines pendant 3 ans, j'ai compris les mécanismes. Le moment où j'ai commencé à me sentir mal coïncidait avec une grande période de harcèlement scolaire : on se moquait de mon prénom, de mes cheveux, de mes habits, de mon physique, on me harcelait sur internet aussi - c'était le début des blogs et des commentaires. J'ai très vite fait le lien entre le fait de contrôler l'espace dans lequel j'étais, ma peur de vomir était liée à ma peur de perdre le contrôle. Je voulais le reprendre justement, ce contrôle. Mes problèmes intestinaux venaient de là aussi.

Depuis la fin de la thérapie, je n'ai jamais eu de crise violente. Depuis que je n'ai plus ces valises : que ce soit le harcèlement à l'école ou Pierre, je n'ai plus ces crises… Enfin à part quand je mange mexicain, comme tout le monde (rire). 

Aucun spécialiste n'avait fait le lien. J'ai dû soigner ma tête pour soigner mon ventre. Et tout ça a coïncidé avec l'arrivée de mon amoureux actuel dans ma vie. Aujourd'hui je mange trois repas par jour, je suis bien dans mes baskets. Une thérapie c'est tellement utile. Je ne peux que la recommander. c'est le plus beau investissement que j'ai fait de ma vie et le plus beau cadeau que je me suis offert. 

Marguerite de Rodellec

Entrepreneur & Podcaster

Je suis l'animatrice de Cheminements et la présidente de MedShake Studio, studio de création de podcast spécialisé dans la santé.